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IMAGES VIRTUELLES / Sublimation du réel
» Tout est là, dans ce temps figé de la mémoire avec son imperceptible mélancolie. Et puis brusquement, prenant les rampes et les plateaux, vous êtes à l’extérieur. Dans le lointain, quasi irréelle, Bruxelles, avec son canal, ses immeubles et ses flux de voitures. Et de très près, cette façade ornementale très art-déco.
Ici, le lieu est une matrice de vision que vous pourrez suivre dans le travail artistique de Caspar, des photographies aux vidéos et aux immenses paysages géométriques réinventés des œuvres virtuelles. Un passé-présent, une « constellation de temps » cher à Walter Benjamin. Un moment, où à travers les failles et les catastrophes, surgissent « les échardes de messianisme ». Cette archéologie vivante élevée par l’art à une architecture de rêves. Alors, les images se répondent, se mêlent et s’entremêlent, pour mieux se métamorphoser. Ou plutôt s’auto-métamorphoser en raison de leur « automorphisme » interne et réciproque, qui crée un regard égaré dans l’infini décoratif des motifs.
La géométrie perturbante, voire éblouissante, de ces immenses panneaux d’images virtuelles explore sans doute une nouvelle folie du voir…
Dans le regard artistique, on pourrait en effet distinguer deux modalités de l’infini. Un infini perspectiviste né avec la Renaissance et un infini de surface d’origine orientale, réinventé dans la modernité, de Klimt à Matisse ou Warhol. Le premier hiérarchise la vision entre proche et lointain, détail et tout, au point que « le regard est dans l’image » (1). Le second naît d’une surface dématérialisée, en aplat, souvent ornementale, au point que le regard tour à tour actif et passif, mobile et abstrait, circule dans les parcours lumineux. Il se déplace, se disperse, se perd et se retrouve pris dans le mouvement précis et pourtant erratique des motifs. Tel est bien le lieu insituable des images virtualisées de Caspar. Des labyrinthes, des rhizomes, où l’on flotte entre l’en-moins et l’en-plus d’une géométrie instable faite d’écarts et d’intervalles. « La faille des deux bords, l’interstice de la jouissance» aurait dit Proust, amoureux de ce qu’il appelait l’intermittence. Si bien que l’espace se temporalise, dans le devenir allusif d’un « réel » d’origine imperceptible, toujours pris dans les entrelacs d’une apparition qui disparaît, ou l’inverse.
Comme si les peaux du monde donnaient lieu à une projection infinie de la surface.
L’existence de ces œuvres très contemporaines éclaire l’enjeu des trois expositions et médiums choisis par Caspar :
-Des photos fixes du lieu, entre son présent et son passé dans une sorte de récit visuel.
-Des vidéos en boucle, saisissant les mouvements de l’intérieur vers l’extérieur, version quasi filmique de la ville vue de partout. « Un être dans » plutôt qu’un être devant, qui évoque l’espace ouvrier de l’intérieur et sa perte, son oubli dans la ville.
-Enfin, ces images virtuelles où l’on recherche sans fin le réel d’origine, envahi et métamorphosé par les dispositifs visuels. Des images ? Ou quelque chose de plus précis qui engendre une véritable utopie architecturale, déjà présente dans les Macro# Batiks de la Tour Up-Site de Bruxelles : des diagrammes. Utilisé en science comme en art, le diagramme toujours instable est une véritable machine abstraite et cartographique qui combine l’actuel et le virtuel et produit un nouveau type de réalité. »
Extraits de Paradigm(e) Texte de Christine Buci-Glucksmann edité par Smallisbeautiful 2017